Mobilité transfrontalière des salariés luxembourgeois

Retour sur le cadre fiscal et social en vigueur – Fatima Chaouche[1]

Cette contribution s’inscrit dans le prolongement de la présentation donnée, le 3 décembre 2015, par Madame Joëlle Lyaudet, Partner au sein de BDO Luxembourg lors de la conférence Rémunération des cadres et dirigeants.

Fort de ses 160.000 travailleurs frontaliers (allemands, belges et français)[2], le Grand-Duché de Luxembourg est le laboratoire quotidien de la mondialisation des échanges et de la libre circulation des personnes, principe fondamental au cœur de la construction européenne.

Dans ce contexte transfrontalier, l’interaction de diverses législations nationales est une réalité bien connue. En effet, l’absence d’harmonisation de la fiscalité directe au niveau européen en est principalement la cause. Pour éviter l’application de différentes règles fiscales à un seul et même salarié frontalier, les États, soucieux de lutter contre la double imposition juridique, ont adopté des Conventions fiscales, afin de se répartir le droit d’imposition des revenus réalisés par leurs résidents respectifs.

L’imposition du revenu d’un emploi salarié est, en règle générale, réservée au pays de résidence à moins que le salarié n’exerce son activité professionnelle dans un autre État (exception au principe général). S’il est vrai que le Modèle de Convention fiscale de l’OCDE est majoritairement repris par les États membres, il n’est pas rare de constater que la rédaction de certains accords diffère du Modèle OCDE rendant nécessaire la consultation systématique des traités qui trouvent à s’appliquer.

En matière de sécurité sociale, la coordination des différents systèmes nationaux à travers les États membres et l’Espace Économique Européen (i.e. Suisse, Norvège, etc.) est assurée par un règlement (n°883/2004) qui garantit aux salariés frontaliers l’unicité d’affiliation auprès d’un seul système de sécurité social[3].

Concrètement, les impacts fiscaux et sociaux pour les travailleurs frontaliers occupés au Luxembourg vont essentiellement dépendre de la situation personnelle et professionnelle de chaque salarié. Une analyse, au cas par cas, est ainsi fortement recommandée pour éviter toutes complications administratives et coûts inutiles pour le salarié comme pour l’employeur.

A titre d’illustration, prenons l’exemple classique d’un salarié frontalier, employé auprès d’une entité luxembourgeoise et prestant 100% de son activité professionnelle sur le territoire du Grand-Duché.

 

Illustration 1 : Salarié frontalier occupé à 100% au Luxembourg

  • Impact social :

En application des dispositions du règlement 883/2004, le travailleur frontalier sera affilié auprès du régime de sécurité sociale luxembourgeois. En effet, la législation de l’État membre de l’employeur l’emporte dans la mesure où le salarié n’exerce pas une partie substantielle[4] de son activité dans son pays de résidence.

Dans les faits, bien qu’affilié au Luxembourg, le salarié pourra faire valoir son appartenance au régime de sécurité sociale luxembourgeois auprès des autorités compétentes de son pays de résidence (via la remise d’un formulaire dit « S1 ») et y bénéficier des prestations sociales au même titre qu’un assuré du pays de résidence.

  • Impact fiscal :

En vertu de la Convention fiscale (Modèle OCDE) applicable entre le Luxembourg et le pays de résidence du frontalier, le droit d’imposition sera, en principe, alloué au Luxembourg en tant qu’État dans lequel l’emploi salarié est réalisé.

Néanmoins, pour des besoins professionnels ou privés (i.e. travail à domicile), le salarié peut être amené à passer une partie non-négligeable de son temps de travail sur le territoire de son pays de résidence. Au regard de cette situation, assez commune en pratique, les impacts sociaux et fiscaux vont alors diverger du cas standard repris par l’illustration 1.

 

Illustration 2 : Salarié frontalier occupé partiellement au Luxembourg

C’est, par exemple, le cas d’un salarié frontalier, employé auprès d’une entité luxembourgeoise et prestant 30 % de son activité professionnelle dans son pays de résidence.

  • Impact social :

En vertu du règlement 883/2004, le salarié frontalier sera affilié dans son pays de résidence dans la mesure où il y exerce une partie substantielle de son activité (seuil des 25% dépassé).

  • Impact fiscal :

La portion du revenu relative à l’activité effectuée dans le pays de résidence (soit 30%) fera l’objet d’une imposition dans ce même État. (Règle générale).

Le salarié devra également faire l’objet d’une imposition distincte au Luxembourg sur les seuls jours de sa présence physique (soit 70%). (Exception à la règle générale).

Il est à noter que l’Allemagne et plus récemment, la Belgique ont introduit des seuils de tolérance à l’égard de leurs résidents pour des raisons de simplification administrative. Les travailleurs frontaliers qui n’excèdent pas 19 jours (pour les résidents allemands) et 24 jours (pour les résidents belges) hors du Luxembourg se verront également imposer au Luxembourg sur ces jours de travail.

La recrudescence des contrôles fiscaux du côté allemand et du côté belge, ces dernières années, contraste avec la tolérance administrative qui prévalait jusqu’alors dans la Grande Région. Si les autorités françaises n’ont pas instauré, à ce jour, de seuil de tolérance, les résidents français doivent s’en tenir aux règles conventionnelles initiales.

Conclusion

Pour des raisons évidentes de détermination des règles applicables aussi bien en matière fiscale que sociale, il est impératif que les salariés frontaliers au Luxembourg comptabilisent et gardent trace des jours de travail passés au Luxembourg et dans leur pays de résidence. Ceci est d’autant plus d’actualité au regard de la récente introduction de l’échange automatique des revenus salariés. L’employé et l’employeur devront faire preuve de vigilance et s’accorder sur le nombre de jours à reporter dans chacun des États concernés (pays d’activité et pays de résidence).

 

[1] Chercheur en formation doctorale à l’Université du Luxembourg

[2] Statec, Travailleurs frontaliers occupés au Luxembourg selon la résidence et la nationalité, 2014

[3] Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (modifié par le règlement (CE) n° 988/2009)

[4] La notion de « partie substantielle de l’activité » correspond à au moins 25% du temps de travail et/ou de la rémunération perçu par le salarié frontalier concerné

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