Instauration d’un step up fiscal au Luxembourg : nouvelles opportunités pour les particuliers belges ?

Denis-Emmanuel PhilippeDenis-Emmanuel Philippe
Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg
Bloom Law
Maître de conférences – ULg

Denis-Emmanuel Philippe intervient dans le cadre de la conférence Recent Tax Developments du 8/12 à Luxembourg.

Le Grand-Duché du Luxembourg a pris de nombreuses mesures, au cours des dernières années, afin d’attirer des particuliers fortunés (High Net Worth Individuals) sur son territoire (abolition de l’impôt sur la fortune, retenue à la source libératoire de 10% sur les intérêts …).

I. Le Grand-Duché fait les yeux doux aux high net worth individuals

Le projet de loi 6891, déposé le 14 octobre 2015 par le ministre des Finances luxembourgeois à la Chambre des députés, vient ajouter une pierre à l’édifice. Celui-ci propose d’introduire un step-up fiscal en cas de transfert de résidence fiscale de personnes physiques vers le Luxembourg[1]. L’instauration de ce « step up » pourrait inciter de nombreux habitants du Royaume à s’expatrier au Grand-Duché du Luxembourg, dans l’optique de réaliser une plus-value sur actions exonérée d’impôt (tant en Belgique qu’au Luxembourg). Petite explication.

II. Taxation des plus-values sur actions en Belgique

Les habitants du Royaume bénéficient en principe d’une exonération des plus-values sur actions, lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé (art. 90,9°, 1er tiret du CIR). L’application de cette exonération ne toutefois va pas toujours de soi. Il en va notamment ainsi en cas de cession, par une personne physique belge, des actions

  • de sa société opérationnelle/familiale à une société holding qu’elle contrôle (plus-value dite « interne »), ou
  • d’une société dite « de liquidités » (sociétés détenant des liquidités, portefeuille de valeurs mobilières, etc).

L’Administration a en effet tendance à taxer ce type de plus-values au titre de revenus divers au taux de 33%, au motif que ces opérations excèderaient la sphère de la gestion normale du patrimoine privé.

III. Opportunité du transfert de domicile d’habitants du royaume vers le Grand-duché

Pour conjurer ce risque fiscal, l’actionnaire belge pourrait envisager de s’expatrier vers le Luxembourg avant de réaliser la plus-value sur actions.

Contrairement à d’autres pays, la Belgique ne prévoit pas d’exit tax en cas d’émigration de personnes physiques belges. En transférant sa participation après avoir fixé sa résidence fiscale au Luxembourg, l’actionnaire pourra en principe échapper à l’imposition de la plus-value sur actions en Belgique. En effet, le transfert de résidence fiscale emporte que l’actionnaire quitte définitivement l’orbite fiscale belge. Celui-ci sera en principe uniquement imposable au Luxembourg.

Et, grâce au step up, l’habitant du Royaume pourra bénéficier au Luxembourg d’une réévaluation du prix d’acquisition de ses participations substantielles (>10%) au jour de son transfert de domicile vers le Grand-Duché. Ainsi, la plus-value sur participation substantielle, imposable en droit fiscal luxembourgeois, se calculera sur la base de la différence entre le prix de vente et la valeur estimée de réalisation de ces titres (soit la valeur de marché) au moment du transfert de résidence fiscale.

IV. Vente d’une société familiale à une SOPARFI

L’exemple suivant illustre de manière éloquente l’intérêt fiscal du step up. Voici un chef de famille belge qui a constitué sa société d’exploitation belge il y a 30 ans avec le capital minimal. Celle-ci a accumulé de nombreuses réserves au fil des années, de sorte que sa valeur de marché peut être estimée à 10 millions d’euros. Aujourd’hui, il est soucieux de transférer son entreprise à ses enfants dans le cadre d’une planification successorale. A cet effet, il peut constituer une société holding (par exemple, une SOPARFI luxembourgeoise) à laquelle il transfèrera les actions de la société belge d’exploitation à valeur de marché (10 millions d’euros), et donner ensuite les actions de la holding à ses enfants (en se réservant l’usufruit).

S’il réalise l’opération aujourd’hui, il risque d’être taxé à hauteur de la plus-value (10 millions d’euros) au taux de 33%. En revanche, s’il transfère son domicile fiscal vers le Grand-Duché à la fin de l’année 2015 (après l’adoption du projet de loi luxembourgeois instaurant le step up) et vend en janvier 2016 sa société opérationnelle à une holding, la plus-value ne sera imposée ni en Belgique, ni au Luxembourg. Par ailleurs, les réserves de la société belge pourront être rapatriées sous différentes formes fort attrayantes sur le plan fiscal.

V. Tax shift : taxation des plus-values spéculatives. Quid du Luxembourg ?

Dans le cadre du tax shift, le gouvernement belge entend taxer, à partir du 1er janvier 2016, les plus-values dites « spéculatives » (<6 mois) réalisées lors de la cession d’actions d’entreprises cotées en Bourse. On précisera que le Luxembourg connaît un régime similaire et que le step up ne porte pas sur les titres d’actions cotées (mais uniquement sur les participations substantielles).

 

[1] L’objectif du législateur luxembourgeois, tel qu’il ressort de l’exposé des motifs, consiste à « éviter la double imposition de la plus-value de cession dans la mesure où celle-ci a été générée avant la date de l’établissement de la résidence fiscale au Luxembourg (…). De manière unilatérale, le Luxembourg renonce ainsi à son droit d’imposer la partie de la plus-value de cession accumulée dans l’Etat de sortie ».

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